Le 5 septembre 1661, lorsque Louis XIV, Roi de France, confia à d’Artagnan1 et à ses mousquetaires, le soin d’arrêter Nicolas Fouquet, il comptait sur la loyauté du gascon et sur sa discrétion la plus absolue. Loyal au Roi il le fut, prévenir le surintendant, il se tut.

La loyauté. Une valeur forte. Elle tisse un lien indéfectible à l’instar d’un serf à son suzerain2 ou encore de l’administration fiscale à son contribuable : le ciment constitutif d’une société.

Si notre bon Roi illuminé comptait sur la loyauté, il eût été plus juste de prévenir l’accusé.

Les successeurs de la noblesse de robe3 glorifiaient la liberté de la preuve pourvue qu’elle demeure loyale.

La preuve devait également être licite. Cette vertu se vérifiait sur l’hôtel du formalisme. Violer la règle revenait à faire perdre la force probatoire. Un coup de glaive dans l’eau en somme ou choisir de rester enfermé dans un costume trop serré.

« Vous auriez pu sauter par la fenêtre – Du 40ème étage ? Mais c’était suicidaire ! – Peut-être, mais c’est légal… » répondait Judge Dredd4.

La posture d’une telle rigidité tel le petit doigt sur la couture du pantalon5 avait ses limites. Cette vision échappait au pénal où la recherche de la vérité est sans aucun doute plus importante surtout s’il est question de préserver l’ordre public et la paix sociale. La loi n’a-t-elle pas validé le testing6 ?

Sur l’admissibilité des modes de preuve, l’article 1358 du code civil énonce qu’« hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ». L’article 427 du code de procédure pénale lui tint à peu près ce même langage.

Pour en revenir à la matière civile, la Cour de cassation y postait deux cerbères7 aux portes de la liberté de la preuve : la loyauté et la licéité. Franchir le Rubicon était impensable.

Inlassablement, le socle s’effrita en stèle. La révolution numérique offrait à l’humanité des moyens considérables d’accéder à la Vérité.

Vous souvenez-vous de la salariée de l’entreprise Petit Bateau, cheffe de projet, licenciée pour avoir communiqué sur Facebook une photographie de la nouvelle collection en avant-première8 ?

La défense expliquait alors que l’exploitation de cette preuve était une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée. Ne pouvant s’immiscer abusivement dans les publications de la salariée sur les réseaux sociaux, le moyen de preuve devait être rejeté sur le fondement de l’article 9 du code civil, le fameux « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

Une amie Facebook avait rapporté à l’employeur la précieuse information. Exit donc la preuve déloyale. Avec des amis aussi attentionnés, il n’est point nécessaire d’avoir des ennemis.

Ne restait plus que la licéité. Le couperet tomba. Il est possible de porter « atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit promotionnée au but poursuivi ». Entendez-vous dans les campagnes, mugir la féroce vérité ?

Oui, l’accès à la publication par l’employeur était effectivement une atteinte à la vie privée de la salariée mais, non, ce n’est pas grave, elle pouvait servir de preuve car son rejet se heurtait à la « défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires ».

Pour la petite histoire, elle avait plus de 200 petits potos qui travaillaient tous dans des entreprises concurrentes à la sienne et où les agissements en contrefaçon faisaient rages. Un bébé panda nageant avec les crocodiles.

La balance de la justice se met en mouvement jusqu’à ce que le plateau s’écrase sur le principe juridique à infléchir.

Avez-vous fait attention à cette histoire où une infirmière avait été licenciée pour faute grave9 pour avoir introduit et consommé de l’alcool et organisé des festivités dans la salle de suture ? Bon, d’accord, elle avait aussi infligé de mauvais traitements à des patients et fait des séances photos et vidéos en maillot de bain. Mais l’alcool ! Il est intolérable de gâcher un si précieux désinfectant !

Son employeur avait exploité les photos qu’elle avait publiées sur son réseau privé Messenger car l’un des membres de son groupe l’avait dénoncée. Notre organisatrice de soirée en milieu médical contestait la licéité de la preuve dont l’utilisation par l’employeur portait atteinte à sa vie privée.

La question de droit était donc de savoir s’il était possible d’apporter la preuve d’un comportement fautif au temps et au lieu de travail à partir de photographies diffusées sur un réseau social strictement privé.

Le juge regarda alors le caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle de la salariée mais aussi le droit à la preuve.

La Cour de cassation a estimé que « l’atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi », le but étant de « défendre l’intérêt légitime de l’employeur à la protection des patients confiés aux soins des infirmières employés dans son établissement ».

Puis vint le jour de l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 202310.

« Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi »

Poursuivons le chemin avec d’autres exemples avec, notamment, ce pharmacien qui démontra le comportement illicite de sa salariée, qui évacuait des produits sans les faire payer, à l’aide d’une vidéosurveillance illicite. L’atteinte a été jugée raisonnable car exécutée sur une courte durée et par une seule personne afin de permettre à l’employeur de poursuive son but légitime, le droit de veiller à la protection de ses biens11. Marre d’être une victime.

Ou encore ce salarié qui démontra l’existence d’un accident du travail par un enregistrement audio effectué à l’insu du gérant de la société, auteur des faits12. Le but légitime étant le droit à la victime de faire connaître son accident du travail. Invitée par l’Assemblée plénière, la 2ème chambre civile rejoignait ainsi la chambre sociale de la cour de cassation.

Que dire du fait d’accéder à la clef USB personnelle d’une salariée13, assistante commerciale, dont le petit appendice électronique se trouvait là, seul, sur son bureau, sans défense, accessible, vulnérable, disposé à être lu par le premier curieux qui souhaitait le connecter à un outil informatique ? La preuve est illicite, il n’y avait aucun doute puisqu’elle portait atteinte à la vie privée de la salariée.

Le juge exerça alors son pouvoir de réhabilitation de la preuve.

Le but recherché était de protéger la confidentialité des affaires. La salariée avait eu un comportement suspicieux puisqu’elle s’était étrangement positionnée au poste informatique d’une salariée absente et qu’elle avait imprimé de nombreux documents avant de les stocker dans un sac plastique placé à ses pieds ou dans une armoire fermée à clef. Il ne manquait plus que l’imperméable, le chapeau et les lunettes de soleil pour terrasser les plus naïfs.

Enfin, le caractère proportionné de l’atteinte à la vie privée a été garanti par le tri préalable orchestré par un expert, lui-même contrôlé par un commissaire de justice qui dressa son procès-verbal. La substantifique moelle14 des fichiers collectés démontra la captation de nombreux fichiers en lien avec le processus de fabrication et il était établi que la salariée avait l’intention de les emporter. Elle avait 37 années d’ancienneté.

Jamais d’Artagnan n’aurait fait une telle trahison.

Nous conservons notre part d’humanité et avons tous en nous cette envie de vérité. « Parce que tu m’as vu, tu as cru » 15.

Richard Wetzel, Avocat Associé

1 – Alexandre Dumas s’inspire du personnage de d’Artagnan pour écrire les Trois Mousquetaires en le faisant intervenir sous le règne de Louis XIII vers 1625 alors qu’il n’entrera dans la compagnie que vers 1644. La France était alors sous la régence d’Anne d’Autriche en attendant que Louis XIV, n’ayant alors que 6 ans, ne puisse exercer le pouvoir. En 1646, la compagnie des Mousquetaires est dissoute par Mazarin puis reconstituée en 1658 par Louis XIV.

2 – Pour mémoire, le suzerain est le seigneur du seigneur en droit vassalique. A la fin du Moyen Age, le pouvoir Capétien est désormais souverain en son royaume après une longue bataille administrative, institutionnelle et intellectuelle.

3 – La noblesse de robe concerne ici les nobles qui occupaient les fonctions dans la justice sous l’Ancien Régime.

4 – Judge Dredd – 1995 – film réalisé par Danny Cannon.

5 – Référence militaire lorsque le soldat, au garde à vous, doit avoir les bras bien droits, les mains collés sur le pantalon et les doigts sur sa couture.

6 – Loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations – article 4.

7 – Dans la mythologie Grecque, le Cerbère était le gardien des Enfers représenté par un chien à trois têtes.

8 – Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058

9 – Cass. Soc., 4 octobre 2023, n°21-25.452

10 – Assemblée plénière de la Cour de cassation, 22 décembre 2023, n°20-20.648

11 – Cass. Soc., 14 février 2024, n°22-23.073

12 – Cass. 2ème civ., 6 juin 2024, n°22-11.736

13 – Cass. Soc., 25 septembre 2024, n°23-13.992

14 – Substantifique moelle : expression de Rabelais dans son livre « Gargantua » de 1534.

15 – Jean 20.24-29