En principe, la preuve des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale est libre. Cela signifie que cette preuve peut être rapportée par tous moyens. Mais les tribunaux estiment généralement que de simples captures d’écran ne présentent pas une force probante suffisante pour caractériser des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale commis sur Internet. Mieux vaut donc recourir à un constat d’huissier.

Quels usages non autorisés des œuvres et des marques rencontre-t-on le plus souvent sur Internet ?

 A l’ère du numérique toutes les informations sont accessibles sur Internet. Pour certains, il est tentant de commercialiser sur internet des produits et services sous une dénomination ou un logo similaire à celui d’une marque enregistrée. Il s’agit alors d’entretenir une confusion dans l’esprit du public, afin de bénéficier de la notoriété ou de la bonne réputation de la marque enregistrée. Pour d’autres, il s’agit d’utiliser une création graphique, une photographie, une composition musicale réalisée par un tiers, ou encore un article ou une tribune écrite par un tiers, afin d’illustrer un site internet, un blog, un article ou un post sur des réseaux sociaux, ou encore une présentation.

Quelle protection pour les œuvres et les marques ? Le monopole d’exploitation

Or, ces œuvres littéraires et artistiques sont des « œuvres de l’esprit » au sens du code de la propriété intellectuelle[1], protégées par le droit d’auteur.  Il en résulte que l’auteur bénéficie d’un monopole d’exploitation sur son œuvre. Cela signifie que l’auteur d’une œuvre est en droit d’autoriser et d’interdire (et donc de monnayer s’il le souhaite), l’utilisation de son œuvre. Ainsi, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle d’une œuvre faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement d’une œuvre[2].

De même, le code la propriété intellectuelle accorde un monopole d’exploitation au propriétaire d’une marque de produits ou de services (mais également au propriétaire d’un brevet, d’un dessin et modèle, d’un certificat d’obtention végétale). Toute utilisation d’une marque sans l’autorisation de son propriétaire est illicite.

Qu’est-ce que la contrefaçon ?

En résumé, toute utilisation d’une œuvre sans l’autorisation de son auteur et toute utilisation d’une marque sans l’autorisation de son propriétaire est interdite et constitue une contrefaçon.

Dans certains cas, une telle utilisation peut également être considérée comme un acte de concurrence déloyale.

La contrefaçon consiste donc dans le fait d’utiliser (par exemple reproduire, télécharger, imiter, ou diffuser) tout ou partie d’une œuvre littéraire ou artistique (par exemple un écrit, un dessin, un morceau de musique, une photographie, un logiciel etc.), ou encore une marque de produits ou de services, sans l’autorisation du titulaire des droits de propriété intellectuelle sur cette œuvre ou sur cette marque. La contrefaçon est donc une utilisation non autorisée d’une œuvre ou d’une marque.

Qu’est-ce qu’une action en contrefaçon ?

 L’action en contrefaçon vise à sanctionner l’atteinte portée au monopole du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une œuvre ou une marque[3] (ou encore sur un dessin et modèle, un brevet, un certificat d’obtention végétale).

Qu’est-ce que la concurrence déloyale ?

Les actes de concurrence déloyale sont généralement des agissements commis par des entrepreneurs peu scrupuleux ou malhonnêtes, qui recourent à des procédés contraires aux règles et aux usages, ou à la bonne foi, et occasionnant un préjudice[4].

Ainsi, l’auteur d’une œuvre ou le propriétaire d’une marque, peut exercer une action en contrefaçon, voire le cas échéant en concurrence déloyale à l’encontre de toute personne qui utilise l’œuvre ou la marque sans son autorisation.

Qui doit prouver l’utilisation non autorisée d’une œuvre ou d’une marque ?

Encore faut-il pouvoir rapporter la preuve de l’utilisation non autorisée.

La charge de la preuve de l’utilisation non autorisée, c’est-à-dire de la contrefaçon, incombe au titulaire du droit de propriété intellectuelle auquel il a été porté atteinte. La charge de la preuve incombe dans tous les cas au demandeur à l’action.

Qu’est que le principe de liberté de la preuve ?

S’agissant d’un fait juridique, la preuve de la contrefaçon est en principe libre et peut donc être rapportée par tous moyens[5]. Cette règle vaut également pour la concurrence déloyale.

Ce principe général de liberté de la preuve est posé par l’article 1358 du code civil qui dispose que «Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ».

Le code de la propriété intellectuelle rappelle que cette règle s’applique aussi à la contrefaçon brevets[6],  la  contrefaçon de marque[7]  et à la contrefaçon de logiciels et de bases de données [8].

La Cour de cassation a en outre récemment rappelé qu’en application de l’article L332-4 du code de la propriété intellectuelle, « la contrefaçon de logiciel peut être prouvée par tout moyen. Il en résulte qu’elle peut notamment l’être par des captures d’écran de sites internet, lesquelles ne sont pas dépourvues par nature de force probante »[9].

Toutefois, la cour d’appel de Paris a apporté des précisions concernant la preuve de la contrefaçon et de la concurrence déloyale sur Internet et notamment lorsque cette preuve est rapportée au moyen de captures d’écran.

Preuve de la contrefaçon de marque sur internet et captures d’écran : que dit la jurisprudence ?

Ainsi, la cour d’appel de Paris a jugé que de simples impressions d’écran ne permettent pas de prouver l’existence d’actes de contrefaçon de marque. En effet, la cour d’appel a estimé que des impressions d’écran d’un site internet non datées ou réalisées dans des conditions imprécises sans l’intervention d’un huissier ou d’un tiers assermenté sont insuffisantes pour établir un usage de la marque[10].

En l’espèce, une société avait exercé une action en contrefaçon de marque contre une autre société. Elle produisait pour cela notamment des impressions écran du site internet de la société qu’elle accusait de contrefaçon. Néanmoins, les impressions d’écran ont été écartées par les premiers juges qui les ont considérées comme non probantes. Leur analyse a été confirmée par la cour d’appel de Paris.

Preuve de la contrefaçon de droit d’auteur sur internet et captures d’écran : que dit la jurisprudence ?

En matière de contrefaçon de droits d’auteur, il a également été jugé que de simples captures d’écran ne présentent pas la force probante suffisante pour établir la contrefaçon. La cour d’appel de Paris a estimé que « des captures d’écran, réalisées en dehors de l’intervention d’un huissier de justice, ne présentent pas de garantie suffisante de l’authenticité des contenus qui y apparaissent faute d’assurance quant à la stabilité du support à partir duquel ces captures ont été effectuées »[11].

En l’espèce, la société AFP (Agence France Presse) avait versé au débat des captures d’écran pour tenter de prouver les faits de contrefaçon. L’AFP avait fait appel à une société sous-traitante pour lutter contre l’usage non autorisé de ses images. C’est cette société qui avait alerté l’AFP d’un risque de contrefaçon et qui avait alors réalisé ces captures d’écran.  La société AFP qui avait repris ces captures d’écran, a été déboutée de ses demandes au motif qu’elles ne permettaient pas d’établir avec certitude qu’elles émanaient bien de la société défenderesse.

Dans une décision encore plus récente, la cour d’appel de Paris a confirmé sa position : des «captures d’écran, réalisées en dehors de l’intervention d’un huissier de justice ou d’un tiers assermenté, ne présentent pas de garantie suffisante de l’authenticité des contenus qui y apparaissent ».[12]

Dans cette affaire, l’AFP avait également produit des captures d’écran prises par une société prestataire à laquelle elle faisait appel afin d’assurer la défense de ses droits sur internet.

Ces décisions appellent plusieurs observations :

Premièrement, ces décisions s’inscrivent dans un courant jurisprudentiel qui cherche à encadrer les modalités de preuve en matière de contrefaçon et de concurrence déloyale sur internet.

Depuis, les années 2000, la jurisprudence a ainsi fixé le processus que doit respecter un huissier de justice pour que la capture d’écran, constatée par huissier de justice, ait une valeur juridique probante dans les procédures judiciaires. Ainsi, l’huissier de justice qui procède à une capture d’écran doit indiquer clairement et précisément toutes les opérations qu’il effectue pour établir son constat en ligne, notamment le cheminement de la navigation à laquelle il a procédé pour obtenir les captures d’écran, le matériel utilisé, l’adresse IP de l’ordinateur et de connexion, le mode de navigation internet et le réseau de connexion utilisés, et si la mémoire cache et l’historique de l’ordinateur ont été supprimés.

Si la capture d’écran constatée par huissier de justice est encadrée, il apparait assurément que la capture d’écran réalisée par une personne qui n’est pas un huissier devrait l’être également et apporter les mêmes garanties de fiabilité. Ce qui nous semble a priori difficile.

Deuxièmement, ces jurisprudences sont des décisions d’espèce.

Dans la première décision, les juges ont pris le soin d’expliquer ce qui faisait défaut : « aucune date ne figurait sur les captures d’écrans » ; l’impression écran du site Internet de la société accusée de concurrence déloyale « a été réalisée dans des conditions ignorées et sans l’intervention d’un huissier justice ou d’un tiers assermenté, sans précision sur le matériel, l’adresse IP, le mode de navigation et le réseau de connexion utilisés » ; « qu’il n’existe aucun possibilité de s’assurer de la fiabilité de la date portée sur l’impression » ; « qu’il n’est pas démontré que la mémoire cache et l’historique du disque dur avaient été préalablement vidés ».

Dans les deux affaires suivantes, il s’agissait de captures d’écran prises par un prestataire chargé de la protection des droits de la société sur Internet et la société en question avait versé au débat ces captures d’écran alors que « le nom de l’éditeur n’est pas indiqué, le bas des pages étant manquant » , que les éléments apportés « ne permettent pas d’établir avec certitude que les impressions d’écran émanent d’un site dont la société [accusée de contrefaçon] serait l’éditrice »[13] ; « qu’il n’est pas écrit quels sont l’objet social et l’activité précises de cette société [la société prestataire qui avait réalisé les captures d’écran] ni les garanties qu’elle présente ; que la procédure qui a été suivie pour procéder aux captures  d’ écran  n’est pas décrite, ne permettant pas d’apprécier d’une quelconque manière la rigueur du travail effectué »[14].

Troisièmement, ces décisions rappellent le principe selon lequel, même lorsque la preuve peut être rapportée par tous moyens, le juge dispose d’un pouvoir souverain dans l’appréciation de la force probante des éléments de preuve rapportés.

Les juges considèrent que de simples captures d’écran réalisées en dehors de l’intervention d’un huissier de justice ou d’un tiers assermenté ne sont pas un élément de preuve suffisamment probant, faute de présenter des garanties suffisantes sur l’authenticité des contenus qui y apparaissent. Les juges ont ainsi souligné l’importance de recourir, pour le moment, à un huissier de justice pour constater la contrefaçon sur internet à l’aide de captures d’écran.

En l’état actuel de la jurisprudence, les captures d’écran réalisées par le plaignant, ou par un prestataire de services non assermenté qu’il aura mandaté, ne seront pas jugées irrecevables.  Mais elles seront probablement jugées insuffisantes pour établir la preuve des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale commis sur internet. L’action en contrefaçon ou en concurrence déloyale reposant sur ces seules captures d’écran sera alors probablement rejetée, faute pour le demandeur de rapporter la preuve des actes de contrefaçon ou de concurrence déloyale qu’il allègue.

 

 

Philippe  Touitou

Avocat au Barreau de Paris

 

Noémie LAFAGE

Juriste

 

 

 

[1] Articles L112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle.

[2] Article L122-4 du code de la propriété intellectuelle.

[3] Articles L. 335-2 et s. Code de la propriété intellectuelle pour la contrefaçon de droits d’auteur et droits voisins

Articles L. 716-4 et s. Code de la propriété intellectuelle pour la contrefaçon de marque.

[4] Fiches d’orientation DALLOZ – Concurrence déloyale, juin 2021.

[5] Article 1358 du Code Civil.

[6] Article L615-5 du code de la propriété intellectuelle.

[7] Article L. 716-4-7 du code de la propriété intellectuelle.

[8] Article L332-4 du code de la propriété intellectuelle.

[9] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2021, 20-22.048

[10] CA Paris, ch. 5-2, 2 juill. 2010, n° 09/12757.

[11] CA Paris, 5-1, 15 janv. 2019, no 17/04725.

[12] CA Paris – Pôle 05 ch. 01 – 28 janvier 2020 – n° 019/2020.

[13] CA Paris, 5-1, 15 janv. 2019, no 17/04725

[14] Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 01 – 28 janvier 2020 – n° 019/2020